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Interview de Marie-Line Perarnaud, sage femme à domicile

Salma, présidente de l’Allaitement Tout Un Art : Bonjour Marie-Line Perarnaud. Vous êtes mère de 5 enfants allaités, infirmière, Sage-femme. Créatrice de l’Observatoire de la Violence Obstétricale. Animatrice de la page FB : La Révolution des Roses – France #StopObstetricViolence. Co-fondatrice de la Maison de Naissance extra hospitalière de Pau. Co fondatrice du Syndicat National des Sages-Femmes pour l’Accouchement à domicile, Les Femmes Sages. Formatrice en Naissance Éducation Santé. Pouvez-vous présenter votre parcours ?

 

Marie-Line Perarnaud : Je suis diplômée de l’école de Sages-Femmes de Bordeaux. Avant cela, j’étais infirmière. J’ai découvert l’association des sages-femmes libérales pendant mes études (l’ANSFL). Elle n’était constituée que de sages-femmes qui pratiquent l’accouchement à domicile (AAD). Quand j’ai vu la pratique de la présidente de l'époque, j’ai compris que j’accoucherai à la maison et que c’était ça que je voulais faire. J’ai travaillé à l'hôpital de Pau comme sage-femme salariée, tout en accouchant de mes quatre enfants à domicile et j’ai participé aux premières réunions de l’ANSFL. J’ai quitté l’ANSFL quand elle s’est élargie à toutes les sages-femmes en libéral, car j’avais besoin d’être avec des SF qui pratiquent l’AAD pour me sentir en sécurité. La sage-femme qui m’a accouchée m’a encouragée à reprendre sa patientèle. Ca s’est décidé très vite. J’ai donné ma démission pour reprendre la suite, puis je me suis installée en libéral en 1993. 

 

En 1999, une procédure pénale a commencé. Vous avez été la première sage-femme française à être radiée ?

Non, une sage-femme prénommée Marceline a été radiée avant moi. Mais je ne connais pas son histoire. Je serais la deuxième. C’est peu commun d’interdire à une sage-femme d’exercer, que vous a-t-il été reproché ? Lors d’une naissance à domicile, le bébé est venu mort-né. Son grand-père maternel était décédé pendant la grossesse. Dans ce contexte déjà sensible, la grand-mère, avocate et opposée à l’AAD, a interpellé le procureur pour qu’une procédure pénale débute. Bien que toutes les preuves aient disparu (examens du laboratoire, dossier médical de l'hôpital, mon suivi de grossesse), la procédure a eu lieu, se terminant par une double relaxe en 2003.

 

Le Conseil de l’Ordre Départemental a commencé à constituer un dossier et a rejoint la plainte de la famille. J’ai été jugée 10 ans après les faits (en 2010), ce qui constitue un délai déraisonnable : devant un tribunal administratif, le délai raisonnable est de 4 ans maximum. J’ai été radiée en l’absence de tout dossier médical, sans aucune preuve, il n’y avait que ma parole ! La Chambre disciplinaire régionale m’a reproché de ne pas effectuer l’AAD « dans des conditions optimales de sécurité » et « dans le respect des obligations législatives et réglementaires qui s’imposent aux sages-femmes ». Or, le tribunal pénal avait précisé « qu’aucune loi ni règlement particulier n’existaient en matière d’AAD... ». Devant la Chambre disciplinaire Nationale, je serai à nouveau radiée pour « avoir persisté à pratiquer les aad sans prendre en compte les exigences de sécurité édictées par la « Charte de l’accouchement à domicile » publiée par l’Association Nationale des Sages-Femmes libérales ». Or, les chartes ou recommandations de bonnes pratiques n’ont pas valeur de loi et il n’est pas dans les compétences d’une assemblée disciplinaire de choisir quels sont les textes définissant le cadre de bonnes pratiques. Le deuxième motif de la radiation porte sur l’absence d’assurance au jour de l’audience alors qu’au moment des faits en 1999, j’étais assurée ! Quand je prépare un accouchement à domicile, je réalise un suivi très pointilleux pour évaluer les facteurs de risque.

 

Ce décès aurait-il pu être évité ? Y aurait-il eu une meilleure prise en charge en maternité ?

Il faut savoir être professionnelle, savoir refuser l’AAD, renvoyer vers la maternité en cas de problème, s’il y a trop de stress. Le stress, c’est une contre-indication à l’AAD.

Le stress a certainement impacté cette naissance, la situation familiale y contribuant. Ainsi, le champ disciplinaire pose un problème d’égalité devant la justice par les irrégularités de procédure, en traitant les dossiers à charge par exemple ou en dénaturant les faits sans procéder à la vérification des pièces. Il échappe à tous les règlements par violation du droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial, par l’absence de magistrats professionnels lors des appels. L’organisation même des chambres disciplinaires constitue aussi un défaut d’indépendance et d’impartialité.

Il n’y a ainsi aucune règle : les sages-femmes des chambres disciplinaires peuvent accuser une collègue sans preuve. Je milite pour sa dissolution, car son fonctionnement est illégal. Je me suis présentée jusqu'au Conseil d’Etat puis le Conseil Constitutionnel, j’ai épuisé toutes les voies de recours françaises. Nous avons tenté une audience européenne en vain. Karine Lefebvre, Krista Guilliams et Yamina Guendouze ont échoué aussi devant la Cour des Droits de l’Homme. Or, ici encore il y a eu des irrégularités : habituellement, les dossiers sont traités avec un an de délai.

Or, nous, nous avons été déboutées en moins de 2 mois, trois semaines dans mon cas ! Ce délai lui-même est hors norme. A la Cour des Droits de l’Homme, chaque juge représente son pays. Mais la France et l’Allemagne ont décidé de restreindre l’AAD. Les montants d’assurance ont augmenté tant en Allemagne qu’en France. Beaucoup de sages-femmes ont dû fermer leur cabinet car elles ne pouvaient plus payer l’assurance. Françoise Servent a échappé à la radiation mais a reçu une sanction avec sursis.

 

D’autres sages-femmes sont-elles aujourd’hui radiées ?

Oui, encore aujourd’hui, les procédures se poursuivent : le Conseil de l’Ordre prolonge même les poursuites devant d’autres tribunaux comme le tribunal administratif de la Sécurité Sociale, ou jusqu’à l’étranger en Suisse par exemple, ce qui a été le cas d’ Elisabeth Lathuille.

Zohreh Pédaran en Bretagne n’a plus le droit de pratiquer des accouchements à domicile. Elle a été la première à subir l’application du nouveau décret de 2014 qui donne au Conseil de l’Ordre le droit de contrôler « l’insuffisance professionnelle des sages-femmes et leur dangerosité ». Selon le jugement, sa pratique doit être vérifiée par des experts. Ces experts lui ont demandé d’aller faire des heures de stage dans des cabinets pour suivre des sages-femmes qui exercent en Prado, en rééducation. C’est un passage humiliant, mais elle peut continuer à pratiquer, à gagner sa vie. Elle a pu échapper à la radiation grâce à des éléments de la plaidoirie de l'avocate hongroise en faveur d'une sage-femme interdite d'exercer en Hongrie, Agnès Gereb.

Ces éléments portaient sur les droits humains des femmes enceintes à « décider où, comment et avec qui elles accouchent » (CEDH, affaire Ternovsky). En juin 2017, Isabelle Koenig, poursuivie, n’a pas été radiée par la Chambre Disciplinaires de Paris : parmi les sages-femmes présentes ce jour là, une majorité pratiquaient les AAD ou y étaient favorables.

Nous dépendons des opinions des membres du conseil. Un vrai jugement ne doit pas être fonction des opinions, mais de règles, de lois. Par ailleurs, on ne trouve aucune échelle de valeur dans l’application des sanctions. De plus, les chambres disciplinaires traitent toutes les affaires sans distinction qu’il s’agisse de vol ou de consommation de morphiniques, ces exemples relevant des tribunaux pénaux. Les collègues en faveur du maintien des chambres disciplinaires affirment que la présence du juge administratif lors des audiences garantit la légalité des procédures. Mais ces juges observent juste si le déroulement des audiences est conforme à la description faite dans le code de la Santé. A l’audience en Appel de Carine Lefebvre au mois de juin 2018, ce n’est pas le juge qui a décidé. Il y avait trois sages-femmes avec le juge. Ils ont voté à main levée.

Le juge n’a donc pas de voie prédominante ! Par le jeu de la majorité, ce sont les sages-femmes qui prennent les décisions. Au pénal, c’est le juge qui décide en respectant le code, au vu des preuves, etc. Pour la petite histoire des chambres disciplinaires, elles ont été créées en 1930 pour réguler les sages-femmes et les médecins qui ne se comportaient pas bien moralement. On a créé dans la foulée le Conseil de l’Ordre, mais ce système est complètement illégal au regard des droits de la défense.

 

Outre la radiation qui est une sanction extrême, y a-t-il d’autres freins à l’encontre des sages-femmes qui pratiquent l’accouchement à domicile ?

L’assurance a augmenté très rapidement. On est passé de 395 €/an à 16 000 € pour la même compagnie. Cela n’a jamais été notifié et je n’ai eu aucune explication à cette soudaine augmentation. Les détracteurs de l’AAD ont saisi ce levier. En Angleterre, les sages-femmes paient 3600 £ d’assurance + 1000 £ par accouchement. Cela revient en fait au même tarif français.

 

Pourquoi d'après vous l'Etat français reste fermé à la pratique de l'AAD ?

Les enjeux sont énormes. Il y a en France chaque année autour de 800 000 naissances, plus de 88 % d’entre elles sont médicalisées.

Multipliez cela par le prix des tubulures et autres médicaments nécessaires pour les déclenchements, césariennes, péridurales (qui représentent encore les trois quarts des naissances) ... Ce serait un gros manque à gagner si davantage de familles choisissent un libre accouchement en dehors de cette chimie. L’Etat a fait le choix de soutenir l’industrie pharmaceutique pour leurs emplois et leurs bénéfices au détriment d’une certaine qualité de naissance et surtout au détriment des droits humains des femmes. Certains vont jusqu’à penser qu’il y a derrière le rejet de l’accouchement à domicile une pression des nanotechnologies pour la pose de puces électroniques chez les bébés. Ces puces permettraient de suivre les individus, leur santé... Des tests dermatologiques ont été menés à l’école d'ingénieur de Montpellier. C’est une affaire d’argent. Les Etats-Unis sont le premier pays en terme de dépenses de santé et pourtant la mortalité maternelle est en hausse. Le marché des naissances est dénoncé mais cela reste un point sensible. Le problème avec l’AAD est mondial : toujours régulièrement attaquées, les sages-femmes ont déjà vu leur maison brûler comme aux Etats-Unis ou être emprisonnées la nuit avec autorisation de sortir le jour pour travailler dans leur cabinet ! En Europe, le cas d’Agnès Gereb est également connu par sa condamnation à 2 ans de prison.

 

Vous avez écrit un livre : “Persécution des Sages-Femmes pratiquant les accouchements à domicile en France : “Persécution”, le terme est un peu fort, non ?

Ce terme est celui employé par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2010 dans le dossier Ternovsky. Ce même jugement met en exergue que « la persécution envers les sages-femmes qui aident les femmes à donner naissance hors des centres hospitaliers constitue une violation des droits des femmes enceintes ». Les cours de justice choisissaient leurs termes avec précision et réflexion : la persécution est réelle : les procédures sont abusives et violentes, les radiations nous détruisent socialement et moralement : elles nous rendent malades et nous plongent dans la précarité financière, les sages-femmes libérales n’ayant pas droit au chômage.

Elles affectent également tous les membres de la famille. Il s’agit une réelle injustice pour nous mais aussi pour les parents. Beaucoup de sages-femmes ont peur du Conseil de l’Ordre, beaucoup nous soutiennent sans oser en parler car elles sont terrorisées sans se l’avouer à elles-mêmes. Je comprends ce silence mais de ce fait, nous n’avançons pas. Au contraire, le système profite de ce silence pour continuer notre éradication. 

 

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En 2018, certaines femmes choisissent de ne pas accoucher à l’hôpital. Pourquoi ?

Les petites maternités ferment. Par restriction du personnel, les femmes sont victimes de violences gynécologiques et obstétricales. C’est un problème sanitaire en même temps qu’une atteinte aux droits humains des femmes. Les femmes n’ont plus confiance dans ce système. On voit partout un retour au naturel et à la liberté avec l’augmentation des accouchements non assistés. Récupérer son accouchement fait partie de ce processus.

 

Aujourd’hui, ce droit semble remis en cause Les sages femmes qui font le suivi de la grossesse sont encouragées à “éduquer” les parents à accoucher à l'hôpital. Dans le rendu de jugement de Carine Lefebvre, la chambre disciplinaire lui reproche d'avoir laissé la maîtrise de la situation à la plaignante”. En réalité, on ne présente même pas les options aux parents : ils devraient pouvoir choisir en toute connaissance de cause. Or, les sages-femmes qui sont visées par les chambres disciplinaires sont celles-là mêmes qui laissent aux parents le droit d’exercer leur libre-arbitre.

 

Quel message aux femmes qui souhaiteraient accoucher chez elles à l’avenir ?

Revendiquer l’accouchement à domicile comme relevant du droit privé, pointer les violences dont elles sont victimes, asseoir leur projet de naissance, récupérer leur droit de choix en qualité de parent, le droit de dire non au monopole de l’hôpital dans le domaine de la naissance.

 

Merci à Marie-Line de nous avoir ouvert son coeur, meurtri de ne plus pouvoir exercer librement.

 

Interview réalisé durant l'été 2018, par Salma Cousyn et Amandine Muller 

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